Just do it

Mathieu Eveillard
3 min readJun 15, 2021

En entreprise comme dans la vie, une stratégie qui permet d’avancer à un instant donné peut se révéler contre-productive à un stade développemental ultérieur. Il faut donc se renouveler en permanence. Cette évidence est particulièrement vraie s’agissant de start-up qui entrent en phase de scale-up. Les entreprises sont nombreuses qui, à l’occasion de ce passage à l’échelle, doublent leurs effectifs chaque année, plusieurs années durant. Permettre la montée en compétence des nouveaux venus, coordonner le travail de nombreuses personnes tout en maintenant un haut niveau de qualité requiert une phase d’industrialisation de la production, qu’il s’agisse de code informatique, de biens matériels ou de services. Répondre à ce besoin tout en préservant la créativité, la réactivité et l’opportunisme qui ont permis à l’entreprise d’émerger constitue un défi. De nouvelles qualités et de nouvelles façons de penser sont requises, à l’échelle de l’organisation comme de l’individu.

Il faut donc changer, rompre un équilibre pour en trouver un autre. Cela peut faire peur. Des doutes émergent quant à la capacité de l’entreprise à se transformer : “on va dans le mur”, ai-je ainsi entendu de la part d’un salarié d’une start-up, dans un contexte de forte croissance pourtant a priori heureux. Ces doutes ont tôt fait de se transformer en un pessimisme contagieux, voire en défiance à l’encontre des dirigeants de l’entreprise si la communication fait défaut.

En tant que consultant et acteur du changement, je suis confronté à des montagnes de frustration, d’épuisement et, in fine, de souffrance. Étant d’un naturel empathique, il m’est aisé de comprendre la position et les émotions de mes interlocuteurs. Ce peut être une qualité, mais c’est aussi le risque de se laisser soi-même contaminer par ce pessimisme.

Il m’a fallu quelques errements notables pour prendre conscience de ce risque et réaliser par là-même la richesse du positionnement de consultant en tant que personne extérieure à l’entreprise : on ne saurait aider en étant partie-prenante. La question ne se pose pas d’être d’accord ou non avec mes interlocuteurs, mais plutôt d’accueillir leurs ressentis individuels comme autant de faits qui, juxtaposés, brossent le portrait d’une l’entreprise à un instant donné.

Mais plus profondément, ces situations m’ont renvoyé à mon propre pessimisme, me forçant à remettre en question le regard que je posais moi-même sur l’avenir et les gens : je me suis parfois reproché de manquer d’optimisme. Cette qualité était-elle pour autant réellement souhaitable ? Faut-il vraiment être optimiste ?

Un optimisme forcené pourrait nous conduire à l’aveuglement face à une situation désespérée. Mais c’est un cas extrême, alors que la question se pose plus largement.

Ici, la pratique sportive nous inspire, et plus encore des sports tels que le tennis et le football : que l’on mène ou que l’on soit mené par l’adversaire, la seule chose à faire est de marquer le prochain point. Il s’agit donc de faire abstraction de l’enjeu : mener, c’est avoir quelque chose à perdre, être mené c’est déjà avoir un peu perdu. A raisonner ainsi, on ne peut que perdre, alors que seule compte la prochaine action.

Les sportifs le savent bien : à trop considérer l’enjeu, on tend vers le futur, un futur que l’on aura tôt fait de mettre en relation avec le passé dans le cas d’un échec qui se répète. Résultat : “on n’est plus dedans”, le présent ne bénéficie pas de toute l’attention et la concentration qui seraient pourtant nécessaires pour construire le futur que nous désirons. Paradoxe !

Optimisme et pessimisme supposent donc la connaissance d’un contexte, dont nous pourrions décider de nous désintéresser. Ainsi, il ne s’agit pas d’être optimiste mais simplement positif : à quoi bon faire des paris sur l’avenir quand la seule chose à faire est d’agir ? “Just do it”, nous enjoint la marque à la virgule.

Et même, n’y a-t-il pas une certaine beauté à se montrer positif en dépit de son propre pessimisme ? D’aucuns appellent cela l’énergie du désespoir.

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